L’Isère : histoires d’eaux

Source de vie, de fraîcheur et d’énergie, l’eau a façonné nos reliefs en les dotant de paysages de carte postale. Jailli des glaciers et des roches souterraines, de cascades en étangs ombreux, le précieux liquide coule à travers nos plaines et vallées pour se muer en or bleu, vert ou blanc.

De la confluence du Drac et de l’Isère jusqu’au fleuve Rhône, quelque 8 000 kilomètres de rivières et cours d’eau, une douzaine de grands lacs (plus de 50 hectares) et un millier d’étangs abreuvent ainsi notre département… Une richesse de plus en plus convoitée, qui doit être préservée.

Sources chaudes, lacs glaciaires et houille blanche

Le Vénéon, l'un des derniers torrents d'origine glaciaire en Isère, est aussi l'un des plus beaux des Alpes avec ses eaux turquoise. © Pierre Jayet

L’histoire de l’Isère est étroitement liée à la qualité et à l’abondance de ses eaux. Au XIXe siècle, le maire de Grenoble Honoré-Hugues Berriat imagina carrément de transformer la « cuvette » en station thermale : un aqueduc de 40 kilomètres devait acheminer les eaux issues des sources chaudes de la Motte-les-Bains, connues depuis l’époque romaine pour leurs vertus médicinales, jusqu’à un établissement de 1 800 bains au pied de la Bastille !

Le projet pharaonique fut finalement abandonné et les fameuses sources, englouties en 1962 après la mise en service du barrage hydraulique de Monteynard sur le Drac et l’Ébron. Deux stations thermales réputées accueillent en revanche les curistes à Uriage-les-Bains et Allevard-les-Bains.

C’est grâce à la force des torrents et à leur capacité à transformer l’eau en énergie – la bien nommée « houille blanche », développée par Aristide Bergès dans le massif de Belledonne pour faire tourner ses papeteries – que nos vallées alpines vont connaître un essor économique considérable, au tournant du XXe siècle.

L’Oisans va devenir ainsi le théâtre d’une impressionnante épopée industrielle autour de l’électrométallurgie et de l’hydroélectricité. Le massif abrite aujourd’hui le plus grand barrage construit en Europe, Grand’Maison : la centrale hydraulique associée est aussi la plus puissante de France.

En période de pluie, la rivière souterraine qui alimente le lac des grottes de la Balme, non loin de Crémieu, grossit et coule en cascades impétueuses dans les galeries. Un spectacle qui rend le décor encore plus féérique.

En 2020, après dix ans d’un chantier monumental, une nouvelle centrale était inaugurée dans la vallée de la Romanche par EDF à Livet-et-Gavet. La nouvelle usine, qui remplace six anciennes centrales et cinq barrages (pour certains centenaires), présente l’avantage d’être presque souterraine, avec une capacité accrue de 40 % : l’eau parcourt 10 kilomètres dans un tunnel creusé sous le massif de Belledonne. Rendue à la nature, la vallée de la Romanche peut du même coup retrouver son décor de montagne originel.

Juste au-dessus, reliques de l’ancien glacier de l’Oisans, une multitude de lacs d’altitude aux eaux translucides contemplent les sommets de Belledonne. Au pied du Taillefer, le plateau matheysin égrène lui aussi un chapelet de grands lacs naturels : Laffrey, Pétichet ou Pierre-Chatel, entourés de roselières sauvages, font le bonheur des pêcheurs et des baigneurs en été. 

© Alexandre Gelin

Quand l’eau devient sculpteur ou architecte

Dans les massifs calcaires de la Chartreuse et du Vercors, véritables châteaux d’eau, les pluies ont sculpté goutte à goutte sur des millénaires de fabuleuses grottes et falaises en nourrissant des kilomètres de rivières souterraines… un terrain d’exploration et de sensations exceptionnel pour les spéléologues ou les canyonistes !

En 1838, dans ses Mémoires d’un touriste, Stendhal vantait déjà « la transparence et la beauté » de la Bourne tout en dégustant « d’excellentes truites ».

De l’Isère au Rhône

À quelques kilomètres de Roussillon, l'île de la Platière et le méandre des Oves, un espace naturel situé dans une boucle du Rhône, invitent à une immersion dans la mangrove. © Thibault Lefébure

À l’autre bout de l’Isère, au carrefour des Alpes et de la Méditerranée, c’est le Rhône qui coule en majesté. Lovée dans une de ses boucles, la ville de Vienne lui doit son éclat à l’époque romaine : ses monumentaux vestiges antiques, comme le temple d’Auguste et Livie, attestent de la puissance commerciale de la cité portuaire d’alors.

Aujourd’hui, les croisiéristes de plus en plus nombreux profitent de la halte fluviale face au pavillon du tourisme pour découvrir la cité et ses trésors méconnus au pied des vignobles prestigieux qui poussent sur ses collines. L’Isère compte aussi deux ports de plaisance sur le Rhône, à Montalieu-Vercieu, en amont, et aux Roches-de-Condrieu, en aval.

Irriguant les innombrables cultures maraîchères, le deuxième fleuve français a conservé en Isère en bonne partie son caractère sauvage : ses bras (les lônes) servent de refuge à toute une flore et une faune abondante et protégée, comme sur l’île du Beurre (sur le tracé de la ViaRhôna) ou sur l’île de la Platière – classées espaces naturels sensibles.

En bateau à chaîne ou en canoë, on navigue à travers une végétation luxuriante parmi les papillons et les libellules, entre prairies humides, étangs et marais. Sur 2 000 hectares, la réserve nationale du Haut-Rhône-Dauphinois abrite la plus vaste forêt alluviale de France.

L’un des grands enjeux aujourd’hui est de préserver cette ressource qui fait la richesse et la beauté de l’Isère – les neiges n’étant plus éternelles.

Grand’Maison : la plus grande centrale hydraulique de France

Mis en service en 1987 en amont de la vallée de Romanche, entre les massifs de Belledonne et des Grandes-Rousses, Le lac de barrage de Grand’Maison et sa centrale représentent 9 % de la puissance du parc hydraulique d’EDF.

Avec ses 12 groupes hydroélectriques, elle peut injecter en quelques minutes jusqu’à 1 800 MW sur le réseau électrique français. Soit en moyenne l’équivalent de la consommation annuelle de 830 000 habitants en électricité.

C'est aussi un itinéraire des grands cols alpins très prisé des cyclotouristes.