Avec 800 sites fortifiés recensés par les archéologues et des centaines de châteaux nichés dans ses paysages, l’Isère est l’un des départements qui en comptent le plus en France. Partir à la découverte de ce patrimoine, de ruines médiévales majestueuses en châteaux de contes de fées, c’est remonter le cours d’une histoire millénaire et admirer des paysages fabuleux. C’est rencontrer aussi les puissantes familles qui ont fait l’histoire du Dauphiné.
Les châteaux font toujours rêver avec leur architecture grandiose, leurs riches décors, leurs hauteurs de plafond vertigineuses, leurs parcs enchanteurs… Des lieux patrimoniaux et artistiques chargés d’âme, traversés par des personnages hors du commun et peuplés de légendes. Leurs pierres racontent parfois mille ans d’histoires, dont beaucoup restent à écrire… et surtout à étudier !
Peu le savent, mais le département de l’Isère, fort de sa position stratégique aux confins de l’ancien Dauphiné et de la Savoie – deux voisins qui se sont fait la guerre pendant deux siècles –, est parmi ceux qui regroupent le plus de châteaux et maisons fortes en France. De certains ne subsistent que des pans de murailles, une tour de guet ou des peintures murales miraculeusement préservées : comme au châtel de Theys, où l’on a découvert récemment cette fresque relatant la légende de Perceval.

À Beauvoir-en-Royans ou à Bressieux, les ruines dressées en majesté dans le paysage laissent imaginer le faste passé des lieux, quand d’autres châteaux, reconstruits, remaniés ou transformés en appartements, perdent parfois de leur âme. Mais tous, qu’ils soient ouverts aux visiteurs ou se laissent contempler de loin sur leur éperon rocheux, font paysage…
Des châteaux et maisons fortes…
Au Ve siècle, à l’aube du Moyen Âge, l’édification de sites fortifiés, souvent juchés sur un promontoire, sert avant tout à ériger des lignes de défense pour se protéger des envahisseurs, dans une période politique instable. Autour de l’an 1000 apparaissent des mottes castrales, buttes de terre naturelles ou artificielles surmontées d’une tour en bois.
Du XIIe au XIVe siècle, les conflits frontaliers se multipliant, elles font place à des donjons de pierre aux épaisses murailles avec tours, poternes, douves et pont-levis. Fief du seigneur dominant – qui peut être un chevalier ou un évêque –, ces imposantes bâtisses abritent hommes d’armes et matériel, offrant un refuge à la population en cas d’attaque. Des bourgs fortifiés poussent tout autour, comme à Crémieu.

Jusqu’à la Grande Peste de 1348, l’époque étant prospère, beaucoup de nobliaux se font construire à leur tour des maisons fortes, typiques de la vallée du Grésivaudan, des Chambaran ou de la Valloire… L’ajout de fortifications, soumis à autorisation du seigneur dominant, assure une protection face aux brigands et aux seigneurs rivaux : pas de quoi tenir un siège.
Rendues obsolètes par le développement de l’artillerie lourde, ces forteresses vont souffrir des guerres de Religion, de 1562 à 1598. Sur ordre de Richelieu, beaucoup seront d’ailleurs démantelées, comme le château de la Bâtie, ancienne résidence des archevêques à Vienne, dont les restes dominent toujours la cité. Rasés aussi, le château de Quirieu, réduit à une vaste esplanade au-dessus du Rhône, et tant d’autres.
… aux châteaux de plaisance
Le XVIe siècle marque un tournant, avec une nouvelle frénésie de reconstruction et de transformation des anciennes demeures inconfortables en luxueuses résidences de plaisance. À bas les murailles ! On perce des fenêtres pour faire entrer la lumière. C’est le début de l’art des jardins à l’italienne ou à la française. Sous l’influence de la Renaissance italienne, une nouvelle architecture tout en symétrie se fait sentir, comme à Roussillon et à Septème, où une magnifique galerie à arcades jouxte désormais le donjon médiéval. Catherine de Médicis fera d’ailleurs étape dans ces deux châteaux en 1564, avec la cour de France et le futur roi Charles IX.
Vizille, un château au cœur de la Révolution française
À Vizille, l’ancien château delphinal puis royal, bâti sur son éperon rocheux, est en piteux état en 1611, quand François de Bonne, futur duc de Lesdiguières et connétable de France, récupère le domaine et entreprend de se construire un palais monumental – le plus grand et opulent du Dauphiné. Le chantier est à peine achevé en 1622 quand il invite le jeune Louis XIII à courir le cerf dans son parc. Un an plus tard, le vainqueur des catholiques à Grenoble est nommé connétable de France, la plus haute charge du royaume, au prix de sa foi protestante.

La lignée des Lesdiguières s’est éteinte depuis longtemps quand le château accueille l’assemblée des trois ordres du Dauphiné en 1788, préfiguration de celle de Versailles, et devient l’emblème de la Révolution française.
S’il traverse cette période sans dommages, beaucoup d’autres seront saccagés et incendiés. Les ruines du château de Pupetières, à Châbons, inspireront ainsi un célèbre poème à Lamartine (« Le Vallon »). Il renaîtra de ses cendres au XIXe siècle sur les plans du plus grand architecte de l’époque, Viollet-le-Duc, dans le style néogothique.
L’époque romantique connaît d’ailleurs un nouvel engouement pour les châteaux de contes de fées, ces extravagantes « folies » commanditées par de riches bourgeois ou aristocrates, à l’image du château de Beaurevoir, sur les hauteurs de Sassenage (édifié par le gantier grenoblois Alphonse Terray), ou de celui de Thézieu, à Ruy-Montceau (construit pour le compte de l’industriel berjallien Auguste Genin)… Aujourd’hui, ce patrimoine inestimable n’en finit pas de se révéler grâce au travail des archéologues et hommes ou femmes passionnés qui s’attachent à le préserver, pierre par pierre.
Pour en savoir plus
Lire
- Châteaux en Isère – Donjons et demeures (collection Patrimoines en Isère des Éditions du Dauphiné libéré), d’Anouk Clavier et Anne Cayol-Gerin, archéologue et historienne au Département de l’Isère.
- Le spécial Vie de château de la revue « L’Alpe » (n° 108), édité par Glénat et le Musée dauphinois.
Visiter
- L’exposition « À l’assaut des châteaux forts ! » au musée de l’Ancien Évêché (jusqu’au 21 septembre).
De Roussillon à Revel-Tourdan...
Des vergers de la vallée du Rhône aux collines boisées dominant la plaine de Bièvre, les châteaux et villages aux pierres séculaires nous transportent au Moyen Âge ou à la Renaissance…
Anne Cayol Gérin, historienne de l'art
